Qu’est-ce que la fragmentation de la chaĂ®ne de valeur ?

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Entretien réalisé par Pierre Rousseaux et relu par Marie Tirilly, Thibault Briera et Valentin Roussarie.

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Site Web d’Isabelle MĂ©jean.

Professeur Ă  l’Ecole Polytechnique, Isabelle MĂ©jean a reçu le prix du meilleur jeune Ă©conomiste 2020, dĂ©cernĂ© par le journal Le Monde et le Cercle des Ă©conomistes. Dans cette interview, nous discutons de ses travaux sur les effets de la mondialisation, la concentration des chaĂ®nes de valeur et leurs consĂ©quences sur l’Ă©conomie. Avec l’arrivĂ©e du Covid-19, couplĂ©e au protectionnisme amĂ©ricain, au Brexit ou aux questions de concurrence europĂ©enne, le commerce international et sa rĂ©organisation sont plus que jamais au centre des prĂ©occupations. Nous discutons Ă©galement, dans une autre interview, du rĂ´le des Ă©conomistes et de la recherche Ă©conomique dans la sociĂ©tĂ©. Retrouvez l’interview bonus d’Oeconomicus avec Isabelle MĂ©jean !

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Plan de l'article

PIERRE ROUSSEAUX — L’un des Ă©lĂ©ments clĂ©s de votre travail consiste Ă  expliquer la mondialisation par tous les phĂ©nomènes de concentration des entreprises. D’oĂą vient exactement cette concentration ?

ISABELLE MEJEAN — Il s’agit d’une question d’un peu plus d’un million d’euros, Ă  laquelle il est impossible de rĂ©pondre. Tout d’abord, il convient de noter que nous connaissons très peu de choses sur la rĂ©alitĂ© statistique. Nous avons très peu de pays pour lesquels nous disposons de bonnes donnĂ©es qui nous permettent d’Ă©tudier les phĂ©nomènes de concentration. Maintenant, pour les donnĂ©es dont nous disposons, nous observons un niveau d’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© dans la distribution de taille des entreprises comptant très peu d’entreprises globalement très importantes. Pour vous donner une idĂ©e, en France, environ 100 entreprises sont responsables de 20 % du produit intĂ©rieur brut (PIB) du marchĂ©. Cela est Ă©galement vrai dans d’autres pays. Le phĂ©nomène a mĂŞme augmentĂ© aux États-Unis, et c’est encore plus vrai dans les pays Ă©mergents, car ils comptent souvent quelques très grandes entreprises qui contribuent de manière significative au PIB. Samsung reprĂ©sente 5 % des Le PIB de la CorĂ©e du Sud, par exemple. Il s’agit d’une rĂ©alitĂ© statistique importante d’un point de vue macroĂ©conomique.

En macroĂ©conomie, on a tendance Ă  penser en termes d’entreprises reprĂ©sentatives, qui interagissent avec un travailleur reprĂ©sentatif sur un marchĂ© du travail et un consommateur reprĂ©sentatif sur le marchĂ© des biens. Lorsque nous raisonnons ainsi, il est important de garder Ă  l’esprit que nous travaillons sur une hypothèse de la loi des grands nombres. On suppose que tout ce qui se passe Ă  l’intĂ©rieur de cet agrĂ©gat n’est pas important car il « fait la moyenne ». Cependant, lorsque vous avez de très grandes entreprises, ce n’est plus le cas : c’est le sens de la littĂ©rature sur la granularitĂ©. Ce qui se passe au niveau de la distribution des 100 plus grandes entreprises ne sera jamais Ă©quilibrĂ© avec ce qui se passe dans le reste de la distribution, par exemple lorsque l’on considère les chocs stochastiques qui affectent les entreprises. Nous pouvons donc dĂ©jĂ  constater que les preuves empiriques sont importantes.

D’oĂą vient l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, c’est vraiment la question Ă  laquelle tout le monde essaie de rĂ©pondre. La plupart des modèles mettront l’accent sur un lien assez fort entre la taille et la productivité : les bonnes entreprises productives finissent par ĂŞtre grandes. De ce point de vue, il est implicite que tous les phĂ©nomènes de rĂ©allocation (lorsque nous rĂ©affectons des parts de marchĂ© de la plus petite Ă  la plus grande) entraĂ®nent une efficacitĂ© Ă©conomique. Ceux qui sont bons gagnent. La plupart des modèles sont basĂ©s sur cette hypothèse.

Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de discussion sur le fait que les grandes entreprises sont productives, mais il y a beaucoup plus de discussion sur le fait que les phĂ©nomènes de rĂ©affectation Ă  ces grandes entreprises profitent rĂ©ellement au consommateur. Le poids des entreprises « superstars » est tel que le partage de leur pension avec les consommateurs n’est plus donnĂ©, que leur incitation Ă  investir peut ĂŞtre limitĂ©e.

Enfin, un certain nombre d’Ă©tudes s’interrogent sur le lien entre la productivitĂ© et la taille, car certaines frictions du marchĂ© peuvent conduire des entreprises qui ne sont pas les meilleures Ă  croĂ®tre. Pour le moment, par exemple, je Je travaille beaucoup sur la friction de l’information, le fait que, contrairement Ă  ce qui est supposĂ© dans la plupart des modèles, les rencontres entre acheteurs et vendeurs sur les marchĂ©s se dĂ©roulent dans un cadre informatif très limitĂ©, dans lequel il est difficile de savoir qui est le « meilleur » producteur pour le bien que nous recherchons. Cette friction est Ă©videmment importante pour l’international.

Nous parlons souvent de commerce international et d’avantage comparatif. Vos travaux confirment la version initiale de cette thĂ©orie des avantages comparatifs, qui serait une spĂ©cialisation dans l’intĂ©rĂŞt de tous ?

Les avantages comparatifs comportent diffĂ©rents Ă©lĂ©ments. La première est que les entreprises fortes sont celles qui produisent avec un avantage comparatif lĂ  oĂą elles produisent. Lorsque nous examinons une Ă©chelle très agrĂ©gĂ©e, nous constatons ce phĂ©nomène dans les donnĂ©es : en France, nous produisons des produits beaucoup plus technologiques qu’en Chine. Lorsque vous comparez des pays très diffĂ©rents, riche/Ă©mergent/pauvre — vous voyez une structure d’avantages comparatifs qui Ă©volue exactement comme nous le pensons. Par exemple, la Chine est entrĂ©e dans le commerce international en exportant des produits Ă  forte intensitĂ© de main-d’Ĺ“uvre, mais Ă  mesure que les salaires augmentent en Chine, la Chine se concentre sur des produits plus technologiques, et des produits Ă  forte intensitĂ© de main-d’Ĺ“uvre tels que les textiles sont produits dans des pays plus pauvres comme le Bangladesh. La structure des avantages comparatifs ne fait pas tant l’objet d’un dĂ©bat lorsque l’on examine le commerce international sous cet angle. Mais toute une partie du commerce international concerne le type de commerce intra-sectoriel : tout ce qui concerne le commerce au sein de l’Union europĂ©enne ne s’explique pas bien par l’avantage comparatif car les pays europĂ©ens sont très similaires. Le premier partenaire de la France est l’Allemagne. Toutefois, il n’existe pas de structure d’avantage comparatif claire entre la France et l’Allemagne.

La structure de ces chaĂ®nes de valeur est en fin de compte tout Ă  fait conforme aux avantages comparatifs : les chaĂ®nes de valeur europĂ©ennes sont organisĂ©es avec les Ă©tapes de production Ă  forte intensitĂ© de main-d’Ĺ“uvre situĂ©es en Europe de l’Est et les Ă©tapes Ă  forte intensitĂ© de capital en Europe occidentale.

Isabelle MĂ©jean Ă€ cela s’ajoute une tendance qui a fortement affectĂ© les donnĂ©es et le volume du commerce, c’est la fragmentation des chaĂ®nes de valeur. C’est le fait qu’aujourd’hui, nous produisons beaucoup sous forme fragmentĂ©e et que nous Ă©changeons donc beaucoup de biens intermĂ©diaires. La structure de ces chaĂ®nes de valeur est en fin de compte tout Ă  fait conforme aux avantages comparatifs : les chaĂ®nes de valeur europĂ©ennes sont organisĂ©es avec des Ă©tapes de production Ă  forte intensitĂ© de main-d’Ĺ“uvre situĂ©es en Europe de l’Est et des Ă©tapes Ă  forte intensitĂ© de capital en Europe occidentale. Ces structures font partie du modèle de base entre capital et travail, mais elles seront affectĂ©es par d’autres sources qui ne sont pas dans les modèles de base, par exemple la logistique ou l’optimisation fiscale. Le commerce international, en particulier dans certains secteurs, est très faussĂ© par le fait qu’il existe des paradis fiscaux en Europe.

Enfin, il y a les avantages comparatifs qui vont s’appeler granulaires. Les pays prĂ©sentent des avantages structurels dans certains domaines. En France, nous sommes historiquement très spĂ©cialisĂ©s dans l’automobile, la chimie, les plastiques. D’un autre cĂ´tĂ©, ce qui dĂ©termine la localisation de très grandes entreprises — des firmes de superstars — est très idiosyncratique. Qu’est-ce qui fait qu’en France, nous avons Michelin plutĂ´t que Bosch en Allemagne ? C’est très compliquĂ© Ă  expliquer. Il y a un cĂ´tĂ© assez alĂ©atoire. Une entreprise Ă©mergera dans un secteur — parce qu’elle innovera, par exemple — et grandira au point que ses performances façonneront la gĂ©ographie du commerce dans son secteur. En France, ce qui fait notre force en aĂ©ronautique, c’est avant tout Airbus.

L’enseignement en termes d’avantages comparatifs reste un bon moyen de penser la structure du commerce international. Par la suite, lorsque vous commencez Ă  penser au dĂ©tail ou Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, il y a aussi une dimension quelque peu idiosyncrasique, qui a des consĂ©quences très importantes dans la structure et dynamique du commerce international.

Isabelle MĂ©jean L’enseignement en termes d’avantages comparatifs reste un bon moyen de rĂ©flĂ©chir Ă  la structure du commerce international. Ensuite, lorsque vous commencez Ă  penser au dĂ©tail ou Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, il y a aussi une dimension quelque peu idiosyncrasique, qui a des consĂ©quences très importantes sur la structure et la dynamique du commerce international. Par exemple, le rĂ´le de la granularitĂ© est très important pour comprendre les ajustements commerciaux Ă  un choc. Les liens des entreprises avec le reste du monde façonnent la structure des « co-mouvements » internationaux, la façon dont la croissance française rĂ©agira Ă  un choc Ă  l’Ă©tranger.

La deuxième partie de votre question porte sur l’idĂ©e que le commerce est une source d’avantages comparatifs, de spĂ©cialisation et donc de gains dans le commerce international. Pour ma part, j’ai commencĂ© Ă  nĂ©gocier Ă  l’Ă©poque de Krugman, quand il y avait une vision idĂ©ale du commerce international comme source de gains en Ă©change avec un cadre thĂ©orique qui Ă©tait encore très clair sur ces questions. Le commerce international de modèles classiques standard est Pareto-Improving, mais il y a encore des gagnants et des perdants, et il a longtemps Ă©tĂ© ignorĂ©. Nous avons enseignĂ© les modèles Heckscher-Ohlin-Samuelson et le thĂ©orème de Stolper-Samuelson, et nous avions en tĂŞte l’idĂ©e qu’en thĂ©orie, on peut toujours compenser les pertes des perdants par les gagnants.

Dans la pratique, la mobilitĂ© de la main-d’Ĺ“uvre n’est pas parfaite, y compris aux États-Unis oĂą l’on pensait que le marchĂ© du travail jouissait d’une très grande flexibilitĂ©.

Isabelle MĂ©jean Cependant, lorsque nous sommes en prĂ©sence de phĂ©nomènes de changements très rapides dans la structure du commerce, lorsque le commerce international Ă©volue très rapidement, comme ce fut le cas lorsque la Chine s’est ouverte au commerce international, les perdants sont encore plus perdants. La rĂ©affectation nĂ©cessaire Ă  la concrĂ©tisation des gains commerciaux prend du temps : les travailleurs qui se retrouvent au chĂ´mage en raison de la concurrence des produits importĂ©s doivent se former pour trouver du travail ailleurs, dans des entreprises en croissance. Dans les modèles Ă©conomiques, le travail se rĂ©alloue très facilement. Dans la pratique, la mobilitĂ© de la main-d’Ĺ“uvre n’est pas parfaite, y compris aux États-Unis oĂą l’on pensait qu’il y avait une très grande flexibilitĂ© sur le marchĂ© du travail. Quand on perd son emploi dans l’industrie textile, il est difficile de changer d’emploi, surtout quand on est dĂ©jĂ  au milieu de sa carrière. Les rĂ©affectations qui sont très prĂ©sentes dans les modèles Ă©conomiques internationaux ne se concrĂ©tisent donc pas : de nombreuses personnes perdent leur emploi et mettent beaucoup de temps Ă  en trouver un, voire n’en trouvent pas. Il s’agit clairement d’un problème qui a Ă©tĂ© largement nĂ©gligĂ©. Il existe aujourd’hui de nombreuses preuves empiriques, de sorte que nous sommes très conscients de l’importance des coĂ»ts. Les gains sont très fortement divisĂ©s, tout le monde en profite, mais les pertes sont très concentrĂ©es.

Le deuxième Ă©lĂ©ment est qu’avec la mobilitĂ© des capitaux et les Ă©lĂ©ments liĂ©s Ă  la fiscalitĂ© internationale, les gagnants de l’impĂ´t sont devenus des gagnants. de plus en plus difficile. Les entreprises fortement impliquĂ©es dans le commerce international sont fortement impliquĂ©es dans l’Ă©vasion fiscale. Nous avons donc un problème qui a Ă©tĂ© largement nĂ©gligĂ© parce que cette technologie d’optimisation fiscale n’existait pas il y a 20 ans. Nous sommes alors confrontĂ©s Ă  une rĂ©alitĂ© statistique qui oblige Ă  poser des questions : Quelles sont les solutions ? Comment pensons-nous la politique industrielle dans notre monde ?

Le problème de l’Ă©vasion fiscale – qui n’est pas mon sujet de recherche – devrait ĂŞtre une prioritĂ© europĂ©enne, et c’est un Ă©norme Ă©chec europĂ©en. Le fait d’avoir des paradis fiscaux qui ont un droit de veto sur toutes les dĂ©cisions prises au sein de l’Union europĂ©enne est un problème majeur.

Encore une fois, c’est un peu en dehors de mon champ de connaissances, mais nous pouvons regarder par exemple le travail de Gabriel Zucman, qui suggère qu’il y a encore des moyens. La production n’est pas aussi mobile que les profits, et il y a encore des endroits oĂą il est avantageux de produire parce qu’il y a des consommateurs. Les entreprises sont donc incitĂ©es Ă  accĂ©der marchĂ©s des pays riches ou des grands pays en termes de taille du marchĂ©. Ces pays ont donc un pouvoir de nĂ©gociation : l’Allemagne et la France ne sont pas complètement dĂ©sarmĂ©es car ce sont des marchĂ©s qui restent attractifs. Dans les nĂ©gociations, nous devrions avoir un certain poids. Par la suite, la pratique diplomatique est Ă©videmment plus complexe, mais quand on Ă©coute les politiques sur ces sujets, il n’est pas Ă©vident que ces questions soient particulièrement prioritaires.

Vous parlez souvent de partage des risques. Est-ce que nous constatons maintenant une diminution de ce partage des risques ou une meilleure distribution dans la chaîne de valeur entre les pays ?

Ce que nous gagnons en diversification des risques de demande sera en partie contrebalancĂ© par le fait que nous allons avoir une structure de production plus risquĂ©e parce qu’elle est plus concentrĂ©e et donc plus exposĂ©e aux risques sectoriels

Isabelle MĂ©jean Les problèmes de risque ne sont pas tellement prĂ©sents dans le commerce international, mais ils sont très prĂ©sents dans la macroĂ©conomie internationale. Si l’on examine les modèles canoniques de la macroĂ©conomie internationale, il y a un avantage du commerce international qui n’est pas souvent mentionnĂ© en termes de partage des risques entre les pays. Dans l’ensemble, ce que montrent les modèles canoniques, c’est que dans une Ă©conomie en autosuffisance, les consommateurs ne seront exposĂ©s qu’au risque de l’offre intĂ©rieure : ils achèteront des actions dans des entreprises nationales, ce qui les expose complètement aux risques encourus par les entreprises nationales. L’ouverture au commerce international est Ă©galement un moyen de diversifier les risques pour les consommateurs puisqu’ils auront accès Ă  des actifs financiers de tous les pays du monde : nous parlons de partage des risques sur les portefeuilles d’actifs. Pour les entreprises, il existe Ă©galement un partage des risques en ce sens qu’une entreprise qui vend sur deux marchĂ©s est exposĂ©e Ă  des risques de demande sur ces deux marchĂ©s. Il offre donc des possibilitĂ©s de diversification des risques.

Dans les modèles standard en termes de partage des risques, le commerce international permet d’avoir une meilleure diversification des risques depuis cela expose des risques provenant de diffĂ©rents pays. La contrepartie est que le commerce international conduira Ă  une spĂ©cialisation beaucoup plus importante, de sorte que nous aurons tendance Ă  concentrer sa production sur un nombre limitĂ© de secteurs. Ce que nous gagnerons Ă  diversifier les risques liĂ©s Ă  la demande sera en partie compensĂ© par le fait que nous allons avoir une structure de production plus risquĂ©e parce qu’elle est plus concentrĂ©e et donc plus exposĂ©e aux risques sectoriels

. Ce que je dĂ©montre dans mon travail, c’est que nous avons des niveaux très Ă©levĂ©s de concentration de l’offre et que, par consĂ©quent, nous avons des Ă©conomies très exposĂ©es Ă  ce qui se passe dans très peu d’entreprises.

Isabella MĂ©jean Par exemple, en ce moment avec le Covid-19, nous constatons que la France est en difficultĂ©, car nous sommes spĂ©cialisĂ©s dans le tourisme et l’aĂ©ronautique, et ce sont les deux secteurs les plus touchĂ©s par la crise. Si nous avions une structure de production plus diversifiĂ©e, nous aurions moins d’impact sur l’Ă©conomie française. Il y a donc tout un dĂ©bat dans la question de savoir si nous gagnons Ă  la demande ou si nous perdons en concentration.

Ce que je dĂ©montre dans mon travail, c’est que nous avons des niveaux très Ă©levĂ©s de concentration de l’offre et que, par consĂ©quent, nous avons des Ă©conomies très exposĂ©es Ă  ce qui se passe dans très peu d’entreprises. Par exemple, s’il y a un problème chez Peugeot ou Airbus, il aura un impact macroĂ©conomique très important, d’autant plus que ces entreprises elles-mĂŞmes ne sont pas très diverses. Cependant, vous pourriez penser que plus vous ĂŞtes gros, plus les risques Ă  l’intĂ©rieur sont diversifiĂ©s, car nous avons tendance Ă  produire et Ă  vendre dans diffĂ©rents pays, et nous constatons dans les donnĂ©es que ce n’est pas le cas. Les entreprises n’ont pas un portefeuille de clients aussi diversifiĂ©, elles ont tendance Ă  avoir un ou deux gros clients et sont dans des chaĂ®nes de valeur extrĂŞmement concentrĂ©es. Ils ont des fournisseurs exclusifs Ă  chaque Ă©tape de la structure de la chaĂ®ne de valeur, ce qui rend ces chaĂ®nes de production très mauvaises en termes de diversification des risques. En outre, ils ont souvent un cĂ´tĂ© rĂ©seau, et c’est un peu dĂ©sastreux du point de vue du partage des risques. Dès qu’il y a un problème Ă  un point du canal, il affecte le reste du canal. Les très grandes entreprises qui produisent dans les chaĂ®nes de valeur ont atteint des schĂ©mas de production et des niveaux de concentration de la production qui impliquent beaucoup de risques par rapport Ă  la vision quelque peu idyllique que nous avons du partage des risques dans le commerce international.

Y a-t-il encore des recettes des entreprises, compte tenu de la fragilité des chaînes de valeur ?

Dans le cas de la pandĂ©mie, nous avons subi un choc Ă©norme qui a complètement perturbĂ© l’Ă©conomie mondiale et malgrĂ© cela, nous avons rĂ©ussi Ă  produire beaucoup mieux que ce que nous aurions pu imaginer.

Isabelle MĂ©jean En termes de diversification des risques, le pire qui puisse ĂŞtre fait est une production Ă  flux serrĂ© car il n’y a pas de stocks, pas de diversification des approvisionnements, tout repose sur des contrats d’exclusivitĂ©. Par la suite, si vous regardez Covid, nous pourrions peut-ĂŞtre ĂŞtre un peu optimistes car les mĂŞmes entreprises qui ont des modes de production très concentrĂ©s semblent Ă©galement avoir une forme de flexibilitĂ© qui n’existe pas du tout dans d’autres secteurs de l’Ă©conomie. Dans le cas de la pandĂ©mie, nous avons subi un choc Ă©norme qui a complètement bouleversĂ© l’Ă©conomie mondiale et, malgrĂ© cela, nous avons rĂ©ussi Ă  produire beaucoup mieux que ce que nous aurions pu imaginer. J’insiste lĂ -dessus, car quand je parle aux journalistes, j’ai l’impression que Covid a Ă©tĂ© un dĂ©sastre, que tout s’est arrĂŞtĂ©. C’est Ă©videmment un dĂ©sastre, mais compte tenu de l’ampleur de la catastrophe, finalement, le commerce international n’a pas eu de très mauvais rĂ©sultats. Pour l’instant, le PIB a baissĂ© plus que le commerce international.

Si nous regardons les masques, nous sommes en pĂ©nure depuis deux ou trois semaines et depuis la fin du mois de mars, nous importons massivement des masques de Chine. Nous produisons un peu plus qu’avant et les rĂ©seaux d’approvisionnement n’ont pas si mal fonctionnĂ© alors que le fonctionnement normal du commerce international est composĂ© de flux hautement optimisĂ©s, notamment en termes de logistique internationale. C’est un niveau d’optimisation impressionnant, et ici nous avons un choc majeur qui a tout dĂ©sorganisĂ© et nous parvenons toujours Ă  envoyer des avions remplis. Cela ne veut pas dire que tout est rose, mais mĂŞme si nous sommes confrontĂ©s Ă  un Ă©vĂ©nement catastrophique comme une pandĂ©mie, nous parvenons toujours Ă  Ă©changer et je pense qu’il faut le noter.

autant plus que la particularitĂ© de la pandĂ©mie est qu’elle a touchĂ© tous les pays en mĂŞme temps… D’

En effet, c’est le pire scĂ©nario que nous ayons pu envisager. On me dit souvent : « Les entreprises ne se rendent pas compte du risque qu’elles courent. » Ce n’est pas vrai, les grandes entreprises ont des services d’analyse des risques qui sont très importants. Un certain nombre d’emplois ont Ă©tĂ© créés dans le domaine de l’analyse de la chaĂ®ne d’approvisionnement qui utilisent des outils quantitatifs hautement sophistiquĂ©s. Les entreprises ont une vision très prĂ©cise du risque. Ce qui est plus compliquĂ©, c’est d’Ă©valuer le risque sur l’ensemble de la chaĂ®ne de production au fur et Ă  mesure que ces chaĂ®nes sont de plus en plus complexes.

L’Europe se dĂ©brouille-t-elle mieux que le reste du monde en matière de concurrence et de granularité ?

Je pense que cette politique de concurrence est une force parce que la mondialisation pousse la concentration et donc le pouvoir monopolistique.

Isabelle MĂ©jean C’est difficile Ă  dire. Certains, comme Thomas Philippon, le pensent, surtout parce que l’Union europĂ©enne a Ă©tĂ© construite autour de la politique de concurrence. Ă€ Bruxelles, la Direction gĂ©nĂ©rale de la concurrence est une administration de l’Union europĂ©enne très puissante et il existe un consensus europĂ©en très fort sur les questions de concurrence. Aujourd’hui, cela devient une grande question, car tous les pays veulent mener une politique industrielle, accorder des subventions aux entreprises, toutes des politiques qui sont très fortement encadrĂ©es par le droit europĂ©en. Je pense que cette politique de concurrence est une force parce que la mondialisation pousse la concentration et donc le pouvoir monopolistique.

Par la suite, ce sont aussi des choses que nous ne connaissons pas comme bien que nous le souhaiterions, surtout parce que nous connaissons très peu les activitĂ©s de lobbying des grandes entreprises ou des grands secteurs et leur poids dans le processus dĂ©cisionnel europĂ©en. Il en va autrement aux États-Unis, oĂą l’on connaĂ®t beaucoup mieux la façon dont les entreprises subventionnent les candidats ou les partis, ce qui permet d’Ă©tudier statistiquement l’impact sur les dĂ©cisions publiques.

Comment expliquer que des pays, comme l’Allemagne, sont plus forts dans la chaĂ®ne de valeur en Europe ?

C’est une question vraiment très difficile. Nous voulons toujours faire une comparaison avec l’Allemagne. Le principal problème de l’Allemagne est qu’ils ne donnent pas accès Ă  beaucoup de donnĂ©es, donc pour moi qui utilise les microdonnĂ©es comme matière première, c’est un peu frustrant. C’est très diffĂ©rent dans d’autres pays comme la France, le Danemark ou la Suède, qui donnent beaucoup d’accès et dont nous connaissons bien la structure de production.

Quand on pense au commerce international, on sait que c’est vraiment la les grandes entreprises qui le font. Il y a ensuite deux questions :

  1. Comment pouvons-nous faire des champions nationaux et internationaux ? Nous avons essayé et réussi avec Airbus par exemple. Cela dépend fortement des entreprises européennes, car il y a une question de taille du marché.
  2. Comment parvenez-vous Ă  faire en sorte que les petites entreprises dĂ©veloppent leur marchĂ© de manière plus significative ? Cela nĂ©cessite d’ĂŞtre vigilant sur les questions de concurrence, que les grands cessionnent les plus petits. Et cela nĂ©cessite de prĂŞter attention aux problèmes de friction de l’information que j’ai mentionnĂ©s prĂ©cĂ©demment : comment amener les entreprises Ă  rencontrer leurs clients ?

Quel sera l’effet du Brexit sur les chaĂ®nes de valeur ?

En ce sens, le Brexit est un peu le choc parfait de l’incertitude : il est très long, nous ne savons toujours pas complètement ce qui va se passer et il affecte les relations commerciales entre deux zones hautement intĂ©grĂ©es.

Isabelle MĂ©jean J’ai Ă©tĂ© amenĂ© Ă  travailler sur le Brexit pour mon travail sur incertitude. Pourquoi l’incertitude a-t-elle un impact sur l’Ă©conomie ? Il existe toute une littĂ©rature qui suit les thĂ©ories de Dixit-Pindyck sur l’investissement. L’idĂ©e est qu’un choc d’incertitude peut avoir un impact rĂ©el sur l’Ă©conomie, car vous ne voulez pas investir Ă  long terme en pĂ©riode d’incertitude. Ces problèmes ont une rĂ©sonance particulière dans le commerce international, car la participation aux marchĂ©s mondiaux nĂ©cessite des investissements importants. Ces questions d’incertitude sont particulièrement importantes sur les marchĂ©s non liquides et imparfaits, oĂą il y a des investissements spĂ©cifiques Ă  la relation. L’Ă©tablissement d’une relation dans une chaĂ®ne de valeur reprĂ©sente un investissement Ă©norme sur de nombreuses annĂ©es et c’est très compliquĂ© Ă  faire lorsqu’il y a beaucoup d’incertitude.

En ce sens, le Brexit est un peu le choc parfait de l’incertitude : il est très long, nous ne savons toujours pas complètement ce qui va se passer et il affecte les relations commerciales entre deux zones hautement intĂ©grĂ©es. Il y aura des effets Ă  long terme. Presque tous les Ă©conomistes s’attendent Ă  un impact très nĂ©gatif pour le Royaume-Uni ainsi que pour l’Union europĂ©enne. Ce qui est intĂ©ressant d’ailleurs, c’est que le Brexit est une pĂ©riode d’incertitude sans fin. Il ne se passe rien, mais il y a toujours des effets. Statistiquement, nous constatons des effets du rĂ©fĂ©rendum sur le Brexit : baisse des investissements, des Ă©changes commerciaux, moins de nouveaux liens commerciaux. En revanche, dans toutes les relations existantes, il ne se passe pas grand-chose avant la fin de 2020. Les entreprises qui ont un fournisseur ou un client en Angleterre ne font rien. Nous savons que dès janvier, il y aura des barrières non tarifaires, des contrĂ´les Ă  l’entrĂ©e, mĂŞme si les contrĂ´les douaniers sont finalement facilitĂ©s Ă  l’entrĂ©e au Royaume-Uni. Ă€ plus long terme, la lĂ©gislation divergera, ce qui compliquera grandement les choses pour les entreprises qui font du commerce avec le Royaume-Uni.

Dans le contexte des chaĂ®nes de valeur, l’un des principaux points d’interrogation concerne, par exemple, les règles d’origine.

Isabelle MĂ©jean La meilleure offre possible c’est dans ce contexte qu’est l’accord de libre-Ă©change. Toutefois, un accord de libre-Ă©change ne signifie pas qu’il sera aussi facile d’Ă©changer que si le pays Ă©tait membre de l’Union europĂ©enne. L’absence de tarifs ne signifie pas qu’il n’y a pas de frais de change. Dans le contexte des chaĂ®nes de valeur, l’un des principaux points d’interrogation concerne, par exemple, les règles d’origine. Lorsque vous ĂŞtes dans une union douanière, vous devez prouver que le bien que vous exportez sans droit de douane a bien Ă©tĂ© produit dans le pays. Le Royaume-Uni devra donc prouver que les produits qu’il exporte vers la France sont des produits britanniques. Et c’est compliquĂ© car il n’y a pas de produits purement anglais, tout est un peu anglais et un peu du reste du monde. Quel est le niveau de valeur ajoutĂ©e du Royaume-Uni qui permettra d’ĂŞtre Ă©ligible Ă  l’accord de libre-Ă©change ? Ce sont des dĂ©tails qui peuvent sembler purement techniques, mais qui vont ĂŞtre très importants. et cela va affecter les entreprises, car il y a beaucoup de formalitĂ©s supplĂ©mentaires.

Toujours au niveau européen, nous entendons souvent des politiciens et surtout des populistes qui agitent le drapeau de la délocalisation. Tout devrait-il être délocalisé ou mieux ciblé en fonction de la chaîne de valeur spécifique ? Pouvons-nous imaginer une solution ?

La relocalisation est toujours ciblée. La question est de savoir comment cibler, quelle cible choisissez-vous ?

Isabelle MĂ©jean Il n’est pas possible de tout dĂ©placer. Bien que l’autosuffisance soit impossible, nos plus gros dĂ©ficits commerciaux concernent le pĂ©trole et les minĂ©raux. La relocalisation est toujours ciblĂ©e. La question est de savoir comment cibler, quelle cible choisissez-vous ? Cela dĂ©pend beaucoup de ce que vous recherchez, il n’y a pas de rĂ©ponse miracle. C’est ce que j’essaie d’expliquer lorsque nous parlons de relocalisation : c’est un mot qui semble magique, mais tout est dans le ciblage, et ce ciblage dĂ©pend beaucoup des objectifs que vous essayez d’atteindre.

Si vous prenez le plan de relance, il y a un milliard d’euros en France pour la relocalisation. Dans ce milliard d’euros, 600 millions seront utilisĂ©s pour la souverainetĂ© Ă©conomique et 400 millions pour le dĂ©veloppement des territoires. 600 millions pour la souverainetĂ© Ă©conomique, cela signifie que nous allons subventionner la production dans des secteurs particuliers : la mĂ©decine, l’agroalimentaire, l’Ă©lectronique, c’est-Ă -dire des choses qui sont aujourd’hui fabriquĂ©es massivement Ă  l’Ă©tranger, notamment en Chine. Nous allons donc subventionner des choses plus coĂ»teuses pour obtenir l’indĂ©pendance nationale. Parce que l’on pense que la souverainetĂ© sur ces secteurs est très importante. Et il y en a 400 millions qui sont consacrĂ©s au dĂ©veloppement des territoires. Ce que je comprends, c’est qu’il vise l’inĂ©galité : le fait que la mondialisation a fait des gagnants et des perdants. Les perdants sont les territoires industriels qui ont Ă©tĂ© dĂ©sindustrialisĂ©s. Aujourd’hui, de l’argent est proposĂ© pour rĂ©industrialiser ces territoires. La politique d’amĂ©nagement du territoire et de soutien Ă  l’emploi se fait en subventionnant la production industrielle dans ces territoires. Une fois que nous disons cela, la question est de savoir si tous les emplois valent leur valeur et pouvons-nous subventionner quelque chose ? Ou bien voulons-nous subventionner des activitĂ©s susceptibles d’ĂŞtre rentables un jour et, dans l’affirmative, de quoi s’agit-il ?

La transition écologique est, par exemple, un très bon investissement a priori.

Isabelle MĂ©jean La transition Ă©cologique est, par exemple, un très bon investissement a priori. Il permet d’atteindre les objectifs climatiques aujourd’hui et Ă  l’avenir, ce sont des activitĂ©s qui gĂ©nĂ©reront probablement beaucoup d’emplois car nous ne sommes pas les seuls Ă  nous tourner vers les questions environnementales. Ce que nous allons dĂ©velopper aujourd’hui nous permettra de bâtir des parts de marchĂ© internationales demain.

Bien sĂ»r, nous pouvons Ă©galement dĂ©velopper ce que nous savons dĂ©jĂ  faire, pas partir de zĂ©ro. Pour crĂ©er un cluster d’activitĂ©s Ă  partir de zĂ©ro, il faut vraiment injecter beaucoup d’argent. Cependant, si vous n’y mettez pas beaucoup d’argent, c’est parce que dans l’Union europĂ©enne, vous ne pouvez pas non plus payer de subventions. Si c’est pour des projets plus ciblĂ©s, dans ce cas, il vaut mieux essayer cibler des domaines dans lesquels nous avons dĂ©jĂ  des activitĂ©s qui fonctionnent bien. Nous partons de l’existant : la chimie, le plastique, ce sont des activitĂ©s oĂą il y a beaucoup de contenu technologique et donc de nombreux avantages comparatifs. Mais il ne s’agit pas d’une relocalisation au sens strict du terme.

Au niveau mondial, la dĂ©localisation pĂ©naliserait Ă©galement les pays qui n’ont pas encore eu accès au marchĂ© mondial, pour lesquels les dĂ©localisations reprĂ©sentent un Ă©norme potentiel de croissance ?

La fragmentation des chaĂ®nes de valeur internationales est très bĂ©nĂ©fique pour les pays Ă©mergents : il est plus facile de s’intĂ©grer dans une chaĂ®ne de valeur que d’entrer dans le commerce traditionnel avec des avantages comparatifs.

Isabelle MĂ©jean Je pense que le protectionnisme coĂ»tera cher aux pays qui vont se protĂ©ger, car les prix vont augmenter, ce qui aura un impact sur le pouvoir d’achat. Mais elle sera Ă©galement coĂ»teuse pour les pays exclus de la mondialisation. La fragmentation des chaĂ®nes de valeur internationales est très bĂ©nĂ©fique pour pays Ă©mergents : il est plus facile de s’intĂ©grer dans une chaĂ®ne de valeur que d’entrer dans le commerce traditionnel avec des avantages comparatifs. En effet, on peut y entrer par un petit morceau. En outre, les chaĂ®nes de valeur mondiales gĂ©nèrent davantage de transferts de technologie. Une partie du commerce qui s’est dĂ©veloppĂ© autour des chaĂ®nes de valeur a gĂ©nĂ©rĂ© une forte croissance dans les pays qui ont rĂ©ussi Ă  y participer, mais cela reste très concentrĂ©. L’Afrique ne participe pas aux chaĂ®nes de valeur, et mĂŞme en Asie, il n’y a pas beaucoup de pays qui ont rĂ©ussi Ă  s’intĂ©grer. Pour les pays qui introduisent, en termes de croissance, les rĂ©sultats sont très importants.

Je pense qu’il est important d’amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© française, de penser Ă  la dĂ©sindustrialisation, ce sont de vrais problèmes. Je ne pense pas que nous ayons l’instrument miracle, et je ne pense pas non plus que l’instrument miracle soit de subventionner, car les subventions sont difficiles Ă  cibler correctement.

Isabelle MĂ©jean La Banque mondiale est très prĂ©occupĂ©e par ces questions de le protectionnisme parce qu’il part beaucoup des pays riches, mais le coĂ»t le plus important sera supportĂ© par les pays pauvres. Pour nous, d’une certaine façon, ce n’est pas très gĂŞnant lorsque notre commerce international est Ă  60 % intra-europĂ©en, et Ă  ce stade, je n’ai pas l’impression qu’il y ait de très fortes tensions protectionnistes au sein de l’Union europĂ©enne. C’est Ă©galement paradoxal car le dĂ©ficit commercial de la France est un problème intra-europĂ©en, mais il n’est pas tellement discutĂ©. Nous ne parlons que de la Chine, qui en termes de croissance a certes explosĂ©, mais qui reste relativement faible dans notre commerce international. Aujourd’hui, en Europe, il y a beaucoup de tensions Ă  l’Ă©gard du reste du monde parce que personne ne veut remettre en question le marchĂ© unique, et je pense que c’est très bien. Mais cela signifie que mĂŞme si nous venons Ă  des tensions protectionnistes importantes, 60 % de notre commerce extĂ©rieur ne sera pas affectĂ© parce qu’il se fait au sein de l’Union europĂ©enne. D’une certaine manière, pour nous, le Brexit est plus ennuyeux que les problèmes de des tensions commerciales avec la Chine ou les États-Unis.

Il s’agit d’une question politique, et je ne pense pas que nous puissions mener une politique industrielle très bien ciblĂ©e. Je pense qu’il est important d’amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© française, de penser Ă  la dĂ©sindustrialisation, ce sont de vrais problèmes. Je ne pense pas que nous ayons l’instrument miracle, et je ne pense pas non plus que l’instrument miracle soit de subventionner, car les subventions sont difficiles Ă  cibler correctement. S’il y a quelque chose Ă  faire, ce serait de consacrer des sommes considĂ©rables Ă  la recherche et au dĂ©veloppement, et ce n’est pas ce qui a Ă©tĂ© choisi.

Brexit, Covid, guerres des prix, tensions entre la Chine et les États-Unis et l’Europe : comment imaginez-vous la recomposition des chaĂ®nes de valeur Ă  l’avenir ?

Je pense que les chaĂ®nes de valeur ne changent pas beaucoup. Comme il s’agit d’investissements massifs, cela ne change pas du jour au lendemain. Le risque de protectionnisme demeure très important, c’est un risque majeur et nous ne devons pas trop nous y impliquer. Avec le l’arrivĂ©e au pouvoir de Joe Biden, la situation va probablement s’amĂ©liorer un peu : nous entrerons dans une politique plus multilatĂ©rale. Je constate ensuite que l’Union europĂ©enne ne joue pas tant son rĂ´le de puissance Ă©conomique et commerciale. En ce qui concerne le commerce international, c’est l’une des très grandes puissances, et je pense que nous devons jouer la carte du multilatĂ©ralisme beaucoup plus, et que nous devons faire un discours beaucoup plus fort. Je suis absolument convaincu que l’Union europĂ©enne doit faire un discours dans lequel les questions de politique commerciale doivent ĂŞtre systĂ©matiquement liĂ©es aux questions environnementales. Tout le monde pense qu’il y a un problème majeur, celui de la transition Ă©cologique, et finalement on ne sait pas comment on va s’en sortir. L’Union europĂ©enne est un peu en avance et devrait ĂŞtre beaucoup plus proactive Ă  cet Ă©gard. Parler vraiment d’une seule voix et en particulier associer les questions de nĂ©gociation commerciale aux nĂ©gociations environnementales.

On dit souvent que « c’est impossible », que « c’est compliqué », mais en fin de compte nous ne faisons pas grand-chose. Le marchĂ© europĂ©en du carbone existe et doit ĂŞtre Ă©largi. L’imposition de taxes sur le CO2 aux frontières de l’Union europĂ©enne est techniquement compliquĂ©e, mais c’est possible et cela en vaut la peine.

Isabelle MĂ©jean On dit souvent que « c’est impossible », que « c’est compliqué » mais au final on ne fait pas grand-chose. Le marchĂ© europĂ©en du carbone existe et doit ĂŞtre Ă©largi. L’imposition de taxes sur le CO2 aux frontières de l’Union europĂ©enne est techniquement compliquĂ©e, mais c’est possible et cela en vaut la peine. Il y a consensus, mais rien ne se passe parce que nous nous arrĂŞtons sur les dĂ©tails. Par exemple, pour une entreprise, il est difficile de connaĂ®tre son empreinte carbone. C’est vrai, mais dans ce cas, nous pouvons calculer une empreinte carbone moyenne, et nous savons comment le faire, nous avons des tableaux d’entrĂ©es-sorties de la teneur en CO2. En moyenne, on calcule qu’une entreprise qui importe de la mĂ©tallurgie importe autant de CO2. Et si l’entreprise affirme qu’elle Ă©met moins de CO2 que cela, le la charge de la preuve incombe Ă  l’entreprise. Par dĂ©faut, nous appliquons un niveau que nous pouvons estimer. C’est une très mauvaise estimation, comme nous le savons, mais dans ce cas, les entreprises montrent qu’elles importent moins de CO2. Il est coĂ»teux pour les entreprises, mais il ne pose pas beaucoup de problèmes de compĂ©titivitĂ© car les entreprises europĂ©ennes, leur marchĂ© est europĂ©en et donc leurs concurrents sont europĂ©ens. Dès que vous traitez tout le monde de la mĂŞme façon, la compĂ©titivitĂ© est prĂ©servĂ©e.

C’est lĂ  que votre approche de l’Ă©conomie, non pas en analysant un agent reprĂ©sentatif, mais en abordant la macroĂ©conomie par l’analyse microĂ©conomique peut ĂŞtre très avantageuse par les microdonnĂ©es.

Il est vrai que j’ai l’habitude de prendre le prisme de la microĂ©conomie et, par consĂ©quent, la microĂ©conomie est une entreprise qui ne s’engagera jamais dans la transition Ă©cologique parce qu’elle est coĂ»teuse. D’autre part, nous pensons que les consommateurs ont le dĂ©sir de consommer plus respectueux de l’environnement. Est-ce qu’il sera associĂ© Ă  des comportements rĂ©els ? quand on voit que cela signifie payer plus cher pour des produits que nous consommons couramment, comme le transport international ou mĂŞme l’essence ? Pour le moment, il y a une demande qui n’a pas reçu de rĂ©ponse. Ils disent que nous allons produire des produits locaux, mais ils ne veulent absolument rien dire. Nous ne savons absolument pas si produire localement signifie Ă©cologique. Si les gens veulent consommer plus respectueux de l’environnement, au lieu du nutri-score, nous mettons un tampon indiquant ce qu’ils consomment en CO2. Le but de la fiscalitĂ© et du marchĂ© du carbone est de donner au consommateur les moyens de savoir ce qu’il achète.

2008 Agriculture Art BCE coronavirus La crise Ă©conomique Crypto-monnaie Éclairage Economie Economie internationale Economie publique Énergie environnement Essai histoire Ă©conomique inflation Entretien Isabelle MĂ©jean Julien Denormandie keynes MacroĂ©conomie MarchĂ©s MicroĂ©conomie Modèle IS-LM musique Paris sportifs La philosophie Ă©conomique Point d’actualitĂ© Politique monĂ©taire Économique politique pollution Capitaux privĂ©s Prix Nobel Critique de livre Synthèse terres rares ThĂ©orie ThĂ©orie des jeux thĂ©orie Ă©conomique Vente au dĂ©tail Version longue zone euro EconomĂ©trie Ă©conomie du travail Ă©conomie française

Ne dites absolument rien. Nous ne savons absolument pas si produire localement signifie Ă©cologique. Si les gens veulent consommer plus respectueux de l’environnement, au lieu du nutri-score, nous mettons un tampon indiquant ce qu’ils consomment en CO2. Le but de la fiscalitĂ© et du marchĂ© du carbone est de donner au consommateur les moyens de savoir ce qu’il achète.

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